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" Religion et politique, une liaison dangereuse ? " - 2002

Du 25 au 27 octobre 2002

 

Alors que le temps de la guerre froide était celui des grands affrontements idéologiques, les multiples conflits qui déchirent le monde de l’après-communisme ressemblent plutôt à des guerres de religion. Tout se passe comme si l’époque était marquée par un retour du religieux dans la conduite des affaires humaines. Le « choc des civilisations » qui, selon Samuel Huntington, pourrait commander à l’avenir les relations internationales n’a-t-il pas pour principe l’opposition entre un petit nombre de cultures fondées sur des traditions religieuses aujourd’hui réactivées ? Le « désenchantement du monde » dont a parlé naguère Max Weber paraît désormais faire place à un « réenchantement du monde ». En conséquence, la politique, que les philosophes ont tenté de penser, depuis le siècle des Lumières, hors de la religion jusqu’à conduire en France, au début du XXe siècle, à une radicale séparation entre les deux sphères, semble appelée aujourd’hui à prendre en compte la dimension religieuse après l’avoir longtemps tenue à l’écart.

Les événements de ces dernières années apportent une justification nouvelle à la prophétie de Jésus, qui pourrait s’appliquer à toutes les religions : « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix à la terre ? Non, plutôt la division » (Luc, 12,51). Les attentats du 11 septembre 2001 ont porté à son paroxysme la montée en puissance d’un islamisme qui s’était déjà manifesté, au cours des années précédentes, sous des formes plus ou moins meurtrières. L’échec du processus de paix engagé au Proche-Orient a ravivé les tensions entre juifs et musulmans. L’hindouisme a suscité de fortes mobilisations dans son aire d’influence. Partout les revendications identitaires se sont enveloppées du manteau de la croyance religieuse. L’Amérique protestante, par la voix de son président, a proclamé la « croisade » contre les infidèles. Auparavant l’Église catholique, sous l’influence de Jean Paul II, son pape polonais, avait joué un rôle moteur dans la lutte contre le communisme. L’Europe elle-même, dans sa Charte des droits fondamentaux, n’a pas hésité à revendiquer ses valeurs chrétiennes, même si, par précaution de langage, elle a choisi de ne se référer qu’à son commun « patrimoine spirituel et moral ».

En France, les religions se font de nouveau entendre dans l’espace public. Elles sont invitées à s’exprimer sur les grands sujets de société que soulève le développement des biotechnologies. Elles sont appelées à l’aide pour combattre les « nouvelles pauvretés ». Elles entretiennent un dialogue permanent avec les pouvoirs publics. L’islam de l’immigration pose à ceux-ci de nouveaux problèmes qui, à l’école notamment, comme l’a montré l’affaire du voile, oblige à repenser la « laïcité à la française ». La question d’un enseignement des religions à l’école est même ouvertement posée. Au-delà des religions établies, enfin, se développent des sectes et des communautés qui attestent, à tout le moins, d’un besoin de religiosité et d’une recherche de croyances collectives.

Cette visibilité retrouvée des religions dans la vie sociale ne signifie pas que celles-ci aient regagné leur puissance d’antan ni que le mouvement de déchristianisation de la société française se soit inversé. La République s’est construite en grande partie sur le rejet des Églises et nul ne songe à remettre en cause cet acquis. Pourtant, les relations entre la religion et la politique ont changé. La première, détachée des grandes institutions, n’entend pas se tenir à l’écart de la cité dès lors que celle-ci déplace les frontières entre sphère privée et sphère publique. La seconde, orpheline des grandes idéologies, prête une oreille plus attentive à des demandes d’éthique qui n’excluent pas, parmi d’autres, les références religieuses. « En surmodernité, explique l’anthropologue Georges Balandier (Le Dédale, 1994), la sécularisation a apparemment conquis tous les domaines de la vie collective et toutes les retraites de la vie privée, mais dans le même temps le sacré et le religieux s’insinuent partout en ayant accédé à une extrême mobilité ».

La religion n’est donc plus absente du terrain de la politique. Faut-il tenir cette nouvelle complicité pour une « liaison dangereuse » ? Ou faut-il accepter que la religion, ce « soupir de la créature accablée », cette « âme d’un monde sans cœur », selon Marx, vienne apporter à la politique le surcroît d’idéal dont celle-ci paraît manquer aujourd’hui ?

Thomas FERENCZI

Directeur-adjoint de la rédaction du journal Le Monde

 

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